Plume E Heters

Ton travail entre beaucoup en contact avec l´intime. Pourquoi ? Comment perçois-tu l'intime ?

Si l'on part du principe que l'intime est la part qui ne se voit pas, le postulat de tenter de montrer l'intime peut être intéressant. De le montrer ou de le forcer ou de le dévoiler ou de le violer, je sais pas, mais le geste est assez agressif dans tous les cas. On est face à quelque chose qui ne se laisse pas faire, l'intime décourage, et l'intime ne doit pas selon moi être réservé à la chambre à coucher, il est partout, il est dans une fille qui baisse les yeux. Déceler l'intime chez les autres c'est comme un miroir. " Ah ouais, alors on ressemble à ça quand on baise ". La pudeur devient une notion plus aléatoire, on baisse la garde et alors on devient presque vrai. L'intime ça part du ventre, j'aime les rapport très intellectualisés mais le ventre, c'est bien, on desserre les poings quand on parle avec le ventre.

Comment choisis-tu tes modèles ?

La plupart du temps je choisis pas, les modèles, ou les non modèles, les gens, disons, m'envoient un mail en disant que telle série leur parle et qu'ils se verraient bien dedans. On se rencontre, on cible, on affine, on personnalise la prise de vue pour qu'elle colle à l'individu et au propos que je souhaite défendre.La plupart des images sont assez noires et déforment le corps, le visage. Je veille à ce que la personne en face ait bien compris cela. Elle n'aura pas de belles images d'elle souriante et posée, ça la flattera pas forcément. Il faut cette acceptation et le lâcher prise nécessaire, il faut accepter de faire confiance à quelqu'un que l'on ne connaît pas et qui tient un appareil photo, c'est un peu violent quand même, ou tout au moins intrusif.Parfois, je tombe quand même sur une image qui me scotche et la démarche s'inverse. C'est moi qui contacte la personne d'une façon assez formelle, et je demande. Au pire on me dit non je risque pas grand chose.Pour la série du bain, c'est différent, je cherche les modèles dans la rue, le métro, les soirées, je privilégie les inconnu(e)s. J'aime assez l'idée d'emmener des gens que je connais pas dans ma baignoire. C'est tordu, je sais.

Pourquoi te mettre toi-même en scène dans tes clichés ? C'est plus facile, non?

Plus facile de se servir de soi quand on n'a que soi sous la main, je veux dire.Et je suis souvent toute seule avec moi. La mise en danger est différente, c'est une autre façon de creuser ses névroses et ses angoisses. Une fois que j'ai mis un nom dessus, puis une image dessus, puis une image de moi dessus, l'angoisse sur laquelle je focalisais tend à s'estomper. Elle reste là mais en filigrane, elle est moins paralysante. Je crois pas faire ça pour me soigner, mais ça me stabilise. Ça me modère.

Tu peux nous parler de la série decompteareboursmoi ?

J'en parle pas trop tant que ce n'est pas fini, et il faut encore que je tienne le rythme d'une pleine année de travail dessus, puis 6 mois de post prod. Le concept s'appellera Untitled. C'est un travail global sur la rupture et la temporalité. Il y a un autoportrait par jour fait à l'iPhone pendant 2 ans, et le concept sera davantage présenté comme une installation d'art contemporain que comme une expo photo. Il y aura des images, certes, mais également des objets, des vêtements, des vidéos sous forme d'autoportrait, des lettres, des textes, des projections, des enregistrements sonores. Nous en sommes à chercher un lieu pouvant héberger tout cela sans passer par des établissements subventionnés par la Culture. A priori le travail présenté serait trop subversif. Trop de corps de poils, de marques. Ah ah!

Tu exposes bientôt à Paris ?

Je ne crois pas, j'aime autant me concentrer sur Untitled et garder des forces. Les autres séries ne sont pas totalement abouties non plus. J'ai le propos, un peu de matière, mais je dois creuser encore.

Dans l'idéal, tu aimerais partager une expo avec qui ?

Avec moi-même.

Tes projets pour 2014 ?

Un jour après l'autre c'est bien assez, je suis pas à l'abri d'une énième dépression nerveuse.

Propos recueillis par QueenMafalda

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